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Oct. 31, 2019

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Ceux qui ont quitté le troupeau passent par un processus comparable à celui des nouveaux immigrants, notamment la séparation de leur famille. Le premier club du genre, à l'Université Ben-Gourion, vise à les aider à s'adapter

Almog Ben Zikri, Publié sur Haaretz le : 29.09.19, 03:32

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La première expérience d'Ofir Lugasi en tant qu'étudiant à l'Université Ben-Gourion a été la solitude et l'aliénation.

Bien que née dans une famille laïque, après le divorce de ses parents et le remariage de son père, elle a été élevée dans l'implantation sioniste ultra-orthodoxe d'Adei Ad. Après avoir obtenu son diplôme d'études secondaires, elle a d'abord suivi la voie religieuse classique : service national civil, études religieuses, mariage à un jeune âge. Mais après un voyage à l'étranger, elle a divorcé et abandonné la religion.

Pendant sa première année à l'université, elle n'avait pas d'amis. Les normes héritées de sa vie précédente constituaient un frein selon elle. Par exemple, il était considéré comme « normal » dans son ancienne société « de parler de soi et de se flatter ». Mais à l'université, « c'est totalement inacceptable de dire « Je vais bien, je suis à 100% ».

Pendant cette période, son changement de mode de vie a compliqué sa relation avec sa famille et ses anciens amis. Elle est donc restée presque complètement seule.

L'année dernière, au cours de sa deuxième année d'université, Lugasi, alors âgée de 23 ans, a activement cherché un groupe social où elle se sentirait à l'aise, mais en vain. Cependant, elle a rencontré un autre étudiant comme elle, Ori  Hendler. Et ensemble, ils ont mis en place un groupe pour des personnes autrefois religieuses, qui se sentent la plus part du temps déchirés entre deux mondes.

Lorsque l'année académique commencera après les vacances, ils prévoient d'ouvrir un club étudiant officiel pour les étudiants autrefois religieux à l'Université Ben-Gourion - le premier club de ce genre sur un campus. Le club de l'université de Be'er Sheva aidera les étudiants à s'adapter au monde laïque et à la vie académique.

Hendler, qui a étudié la physique, est né dans une famille religieuse qui a déménagé des États-Unis à Jérusalem. Il nous a fait part que le processus de quitter la religion a été pour lui « un gâchis ».

« Je ne me suis retrouvé ni ici ni là socialement », a-t-il dit. « Je me suis automatiquement mis en rapport avec des religieux. Cela montre à quel point j'étais incapable de m'intégrer dans le monde laïc au début. J'ai essayé de sortir, de grandir, de devenir autonome, et j'ai échoué. »

Lugasi a déclaré que sa famille et sa communauté étaient très critiques à l'égard de son divorce. « Lentement, je suis devenue très passive », dit-elle. « J'avais l'impression que ma situation était plutôt misérable. »

Mais dans le groupe qu'elle et Hendler ont formé, il y avait deux autres personnes divorcées « qui ont traversé le même processus par lequel je suis passée, et cela m'a donné confiance. Dans la communauté religieuse, les gens m'ont dit que je manquais de valeurs parce que j'avais divorcée jeune et que je ne m'étais pas battu pour mon mariage, tandis que les laïcs ne pouvaient pas comprendre pourquoi c'était une tragédie. Trouver quelqu'un qui me comprenait, qui avait de l'empathie, ça m'a guéri, sans avoir à passer par des années de traitement. »

L'année dernière, le groupe s'est concentré principalement sur les questions sociales - en essayant de surmonter les sentiments de déchirure, les difficultés relationnelles avec leurs familles, la coupure avec les communautés auxquelles ils appartenaient par le passé (et parfois aussi de leurs familles). Il se sont réunis une fois toutes les deux semaines, pour les repas du shabbat, les vacances ou tout simplement pour se divertir.

Pendant les vacances de Shavouot, quand les juifs religieux étudient traditionnellement la Torah toute la nuit, ils ont organisé une session toute la nuit accompagnée de films et de pizzas. « C'était une façon de se rapporter à notre passé commun, au lieu de rester à la maison », a déclaré M. Lugasi.

Mais Hendler et Lugasi ont dit que l'aspect social n'est qu'un des nombreux problèmes rencontrés par les étudiants qui abandonnent la religion et ensuite partent étudier à l'université. Par conséquent, le nouveau club veut également leur apporter une aide sur les questions d'ordre économique, financière et psychologique.


Taux élevé d'aba​ndon scolaire

Bon nombre de ces étudiants ont de graves problèmes avec leurs études universitaires, ce qui se traduit par un taux d'abandon scolaire plus élevé que la moyenne. Selon le Centre Taub pour les études de politique sociale, 48 pour cent des hommes ultra-orthodoxes et 29 pour cent des femmes ultra-orthodoxes abandonnent l'université avant d'obtenir leur diplôme, comparativement à 25 et 18 pour cent, respectivement, dans la population générale.

Les étudiants autrefois religieux éprouvent également souvent des problèmes financiers. Beaucoup n'obtiennent aucun soutien de leurs parents, et peu de bourses sont disponibles pour les étudiants dans leur situation particulière.

Tamar, qui a demandé que son nom de famille ne soit pas publié, est issu d'une famille ultra-orthodoxe de Jérusalem. Aujourd'hui âgée de 35 ans, elle a abandonné la religion il y a une dizaine d'années et, à 28 ans, sans le soutien de sa famille, elle a décidé de poursuivre des études dans l'Éducation au Collège Tel-Hai. Pour ce faire, elle a d'abord dû obtenir son certificat de fins d'études secondaires.

« Toute la langue académique est complètement différente de la langue de ma maison, de l'endroit où j'ai été élevée et éduquée », dit-elle. « La littérature hébraïque, l'éducation civique - ce sont des choses sur lesquelles je n'ai pas grandi. »

Contrairement à ses amis laïques, elle ne pouvait pas payer ses études avec sa bourse de démobilisation de l'armée ou obtenir une bourse en tant qu'ancien soldat. Elle a donc obtenu un prêt de 19 000 shekels (5 400 $) pour lui permettre d'étudier pour ses examens de fins d'études secondaires, puis a obtenu une bourse pour les étudiants dans le besoin. « Le Ministère de l'Éducation m'a dit qu'il y avait des bourses d'études pour les anciens religieux, mais qu'ils ne les donnaient plus », a-t-elle dit.

Elle a pu remplir son frigidaire avec des petits boulots - tutorat, modélisation dans une école d'art et nettoyage de chambre d'hôtes. « C'est une sorte de course », a-t-elle dit. « D'un côté, je veux vraiment réussir mes études, mais de l'autre, je dois subvenir à mes propres besoins... Et en plus de tout cela, c'est le désir de ne pas être isolé, de se faire des amis. La première année a été très difficile. À bien des égards, ce que nous traversons est semblable à ce que les nouveaux immigrants traversent », a-t-elle ajouté.

Aujourd'hui, Tamar vit à Be'er  Sheva et étudie pour sa maîtrise en cinéma au Collège Sapir. Mais au cours de sa première année à Be'er Sheva, elle s'est de nouveau retrouvée socialement isolée.

Un ami lui a suggéré de rejoindre le nouveau groupe pour les personnes autrefois religieuses. Après le premier événement, un repas de la veille du Shabbat, « J'ai dit à Ofir quand je suis partie, 'Écoutez, je ne sais pas ce qu'il y avait là, mais j'ai quitté la réunion vraiment heureuse.' Quelque chose dans les rires, les blagues, le fait qu'il y avait quelque chose en commun, que nous étions tous dans le même bateau - c'était merveilleux. Dès la première minute, je me suis sentie à l'aise. »

Le club qui ouvrira ses portes cette année a déjà été officiellement reconnu par l'université et le syndicat étudiant. À présent, ses membres envisagent d'étendre leurs activités. Le club compte accueillir des conférences sur le processus d'abandon de la religion et organiser une formation sur les questions financières. Il fournira également des informations sur les bourses d'études et sera en mesure de recommander ses membres comme candidats ux bourse auprès du Doyen de l'Université.

Hendler a déclaré que le club est en négociation avec des employeurs locaux afin d'accorder une préférence à ses membres dans les demandes d'emploi. Il prévoit également de trouver des professionnels vers qui il pourra orienter des étudiants ayant des problèmes de santé mentale.

En formant le club, Lugasi et Hendler  ont été aidés par l'organisation Out for Change (Yotzim Leshinuy), qui promeut la reconnaissance des problèmes particuliers rencontrés par les anciens religieux, en particulier les ultra-orthodoxes.

Yossi Klar, co-Directeur de l'organisation, a déclaré que le nouveau club n'était pas plus surprenant qu'un club pour les nouveaux immigrants. « Ils ont traversé une sorte de processus de migration : la séparation de leur famille, de tout ce qu'ils avaient connu par le passé », a-t-il dit. « La culture, la langue, le contenu et l'éducation seront très différents de ce qu'ils savaient auparavant. »

Il nous a fait part du fait que le club relevait de la propre initiative des étudiants, mais son groupe prévoit maintenant d'examiner la création de clubs similaires dans d'autres établissements.